Que ce soit à l’hôpital ou en cabinet, la violence envers les médecins et le personnel soignant ou administratif est de plus en plus répandue. Jessica Colombé, médecin généraliste à Courroux et vice-présidente de la Société médicale du canton du Jura, souhaite alerter l’opinion publique sur cette problématique qui pèse de plus en plus lourdement sur le quotidien des médecins.
Avez-vous constaté une augmentation de l’agressivité des patients ces dernières années ?
Jessica Colombé (JC) : Oui, nettement. Je suis installée depuis huit ans et j’ai observé un réel changement dans le comportement des patients, qui sont de plus en plus enclins à la confrontation. De nombreux confrères rapportent d’ailleurs le même phénomène. Pour l’instant, nous n’avons à faire « qu’à » de la violence verbale, mais faut-il attendre qu’un médecin se fasse molester avant d’agir ? Heureusement, ce type de comportement ne concerne qu’une minorité de patients. Mais lorsqu’on y est confronté régulièrement, leur gestion devient éreintante.
Quelles sont selon vous les causes de ces comportements ?
JC : Je les attribuerais à trois facteurs. Tout d’abord, à l’évolution sociétale : nous sommes de plus en plus habitués à obtenir immédiatement tout ce que nous voulons. Par conséquent, il est parfois difficile de comprendre qu’on puisse refuser certains examens ou traitements, même si ce refus est médicalement justifié. Certains praticiens, pour éviter les conflits, accèdent à toutes les demandes des patients, ce qui aggrave encore ce problème en contribuant à l’escalade des exigences. Ensuite, ces comportements sont liés à une augmentation de l’anxiété et de la détresse psychologique dans la population, en partie attribuable à la crise du Covid. Enfin, l’augmentation des primes maladie a cristallisé toutes ces tensions. De nombreux patients estiment qu’au vu des sommes considérables qu’ils déboursent, ils sont en droit d’avoir des attentes élevées.
Arrivez-vous à garder espoir malgré cette situation ?
JC : C’est très difficile. J’ai axé toute ma vie autour de la médecine mais aujourd’hui, je doute de pouvoir continuer de nombreuses années à exercer dans de telles conditions. Si c’était à refaire, je choisirais probablement une autre voie professionnelle. J’ai d’ailleurs convaincu ma fille de ne jamais suivre des études de médecine. Ce qui est dommage : c’est un métier passionnant et enrichissant lorsqu’il est exercé dans de bonnes conditions.
Comme le révèlent plusieurs études récentes, le burn-out touche de plus en plus de médecins. L’hostilité grandissante des patients est-elle la seule raison de cette détresse ?
JC : Non, c’est en fait une combinaison de plusieurs facteurs. La violence des patients n’est que la partie visible de l’iceberg. La surcharge administrative en fait aussi partie. Les tâches administratives absorbent environ une journée de travail par semaine, ce qui devient tout simplement insoutenable. Par ailleurs, la pénurie de médecins nous met sous pression, alors que le système de santé attend toujours plus de nous. Le médecin généraliste est appelé à jouer un rôle central dans le système de soins, tandis que les exigences des assurances maladie ne cessent d’augmenter, entraînant une charge de travail considérable. Toutes ces contraintes représentent un risque pour la santé mentale des professionnels de la santé, mais aussi pour la relève. Si cette tendance perdure, plus aucun jeune ne souhaitera devenir généraliste.
Quelles solutions envisagez-vous pour rétablir des relations apaisées entre patients et soignants ?
JC : Je pense qu’il faut éduquer et sensibiliser la population, mais aussi condamner fermement les actes de violence et mieux protéger les soignants. Sur les réseaux sociaux, il est facile pour des individus de ternir la réputation d’un médecin en divulguant son nom. Or, confronté à des accusations sans aucun fondement, un médecin n’a souvent pas la possibilité de se défendre en raison du secret médical. En se focalisant exclusivement sur la protection des patients, on en oublie parfois que les médecins et tout le personnel médical méritent également d’être protégés et défendus.